Bockstael et l’échec de l’éducation à la mixité

Adrien Foucart | 21 Jan 2015
2xRien - un blog

Le Vif titre : L’Athénée Émile Bockstael “judenfrei”. Fuyant un antisémitisme croissant, les étudiants juifs de l’école se sont progressivement enfuis vers les athénées juives. Et en tant qu’ancien étudiant de Bockstael, c’est quelque chose qui m’attriste, mais ne me surprend pas.

Petit retour en arrière dans le temps : en cinquième et sixième secondaire, je suis le cours de religion israélite. Nous sommes quelques uns à avoir fui les cours de morale (peu intéressant et mauvais pour la moyenne) et les cours de religion catholique (soporifiques et aux salles trop remplies) pour se réfugier là. On est six ou sept, dont sans doute trois ou quatre “vrais” juifs. De temps en temps, lors des cours de gymnastique où nous sommes rassemblés à plusieurs classe, ou encore au détour d’un couloir, j’entends des réflexions. “Ça sent le juif, ici, non ?

Ces rares incidents me passent un peu au-dessus de la tête et, avec mon aversion totale pour la confrontation, je ne réagis pas. Personne d’autre ne réagit, d’ailleurs. Les réflexions viennent quasiment toujours de la même personne, doubleur récidiviste connu dans l’école pour être un fouteur de merde. Ça m’amuse même un peu, après un certain temps, qu’il semble n’avoir toujours pas compris que je n’étais même pas juif.

Si la remarque ne me touche pas directement, elle me met quand même mal à l’aise. Parce qu’elle est chargée d’une haine réelle, que je ne comprends pas. Je n’ai sans doute pas échangé plus de trois mots avec lui dans toutes mes études. Je ne m’attarde pas à penser, à l’époque, que ça doit être plus difficile pour les “vrais” étudiants juifs. Si ils sont la cible de plus de remarques, je ne le vois pas. Mais je ne doute pas que ça devait être le cas. Et si j’avais du faire face à des remarques comme celle-là de manière répétée, venant de plusieurs personnes, au sein même de ma classe, sans être jamais défendu, je ne serais sans doute pas resté non plus.

L’Athénée Émile Bockstael, à Laeken (photo via DHNet)

Dix ans on passé et le processus est maintenant, d’après le Vif, terminé. Il n’y a plus d’étudiants juifs à Bockstael, et c’est un échec complet de notre système éducatif. Bien que ce soit certainement une extrême simplification d’un problème complexe, je ne peux pas m’empêcher d’y voir le résultat de l’absurdité totale de la vision ségrégationniste de l’enseignement “philosophique” tout au long de la scolarité.

Je cite le document “Les cours de morale et de religion – Des lieux d’éducation” du ministère de la communauté française. (via enseignement.be) :

“Le décret Missions (1997) de la Communauté française a assigné quatre objectifs généraux à l’école : développer la personne de chaque élève, rendre les jeunes aptes à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle, les préparer à être citoyens responsables dans une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures, assurer à tous les des chances égales d’émancipation sociale. Ce décret a ouvert une dimension essentielle : éduquer à la citoyenneté démocratique en termes de compétences. Les programmes des cours de morale et de religion relèvent ce défi et apportent ainsi une contribution spécifique à la poursuite de ces missions.”

L’absurdité de la démarche me saute aux yeux. Séparer les élèves selon leur orientation religieuse (ou plutôt, selon l’orientation religieuse de leurs parents) pour leur apprendre à s’ouvrir aux autres ? Et si on ouvrait la porte pour aller le voir, l’autre, dans la classe d’à côté, celui qui est supposé aussi apprendre l’ouverture ? On “apprend” pas le pluralisme, on le vit. Voir le pluralisme chacun de son côté par la théorie est à peu près aussi utile que de lire un livre de cuisine pour rassasier sa faim.

On entend régulièrement parler de remplacer les cours de religion et de morale par des cours d’éducation civique. Vu le climat de méfiance et de tension inter-culturelles qui se développe pour l’instant en Belgique, en Europe et dans le monde, il est plus que temps de ne pas faire qu’en parler… Et, par pitié, ne faisons pas l’erreur de tomber dans le modèle français, en sortant totalement la religion de la sphère scolaire. Fermer les yeux et prétendre que les différences n’existe pas ne va aider à améliorer la situation.

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