C’est un complot (ou pas) ! Partie 3 : Le retour du Pognon

Adrien Foucart | 19 Jan 2015
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Je pensais à la base faire un petit article sur les théories du complot. Je me suis quelque peu embourbé dans le sujet, et le mur de texte a commencé a s’allonger. Je l’ai donc divisé en trois parties. Lire la partie 1 : un Nouvel Ordre Mondial et la partie 2 : “La Logique Contre-Attaque”. L’histoire se termine dans cette troisième partie.

Finalement, qui croît vraiment en toutes ces théories du complot ? L’institut de sondage Public Policy Polling aux États-Unis a exploré le sujet chez les américains (lien PDF). Quelques résultats parmi les plus inquiétants :

  • 28% croient qu’il existe “un pouvoir secret conspirant à dominer le monde”
  • 37% que “le réchauffement climatique est un canular”
  • 20% qu’il existe “un lien entre les vaccins et l’autisme chez les enfants”
  • 15% que “les médias ou le gouvernement ajoutent des messages secrets dans les signaux de télévision pour contrôler l’esprit”
  • 4% qu’un peuple de “reptiliens changeurs de forme contrôle notre monde en se faisant passer pour des humains” (théorie popularisée par David Icke)

La France n’est pas en reste, d’après une étude réalisée par “Counterpoint” au Royaume-Unis et rapportée par le journal “Le Monde”, 50% des français croient que “ce n’est pas le gouvernement qui gouverne le pays, on ne sait pas qui tire les ficelles”. A la question subsidiaire de savoir qui “tire les ficelles”, la majorité répond “la finance internationale”, mais 27% y voient “des groupes secrets comme les Franc-maçons”.

Il est donc clair que les théories du complot ont de beaux jours devant elles. Mais comment peut-on affirmer si ces théories sont réelles ou fausses ?

On est tenté dans un premier temps de s’enfermer pendant des heures à réfuter point par point les détails de chaque théorie. Certains l’ont fait de manière assez complète pour des complots “populaires”, comme le dossier “11 septembre” de Popular Mechanics, où l’épisode sur l’alunissage d’Apollo 11 de MythBusters. Le problème de cette approche, bien que le résultat soit souvent très intéressant, est qu’elle rentre totalement dans le jeu des conspirationnistes. Tout d’abord parce que c’est renverser la responsabilité de la preuve : c’est à ceux qui portent l’accusation de prouver que ce qu’ils affirment est vrai, ou même plausible. Or, si généralement les conspirationnistes sont prêt à rejeter toute preuve contraire à leur vision du monde sur simple base de “c’est forcément truqué, et toute personne qui dit le contraire fait partie du système”, ils vont de leur côté citer comme preuve des vidéos YouTube de qualité plus que douteuse. Mais, surtout, c’est perdre de vue les questions fondamentales que l’on doit se poser pour évaluer la probabilité qu’un complot soit vrai, et non le résultat d’un délire paranoïaque.

Des questions comme : “Combien de personnes sont impliquées ?”, “Qu’est-ce qui les motive à se taire ?”, et “À qui cela profite ?”

Une preuve que Beyoncé est une reptilienne changeuse de forme ? (The Watcher Files)

Une affaire de personnes

Prenons comme exemple le réchauffement climatique. En terme de théorie du complot, c’est probablement une des plus répandues : les rapports du GIEC sont frauduleux, le réchauffement climatique n’existe pas ou n’est en tout cas pas lié à l’activité humaine. Passons sur les motifs (sûrement néfastes) du complot, et concentrons-nous sur la simple question : qui devrait être au complice ? 97% des climatologues rejoignent le consensus sur le fait que le réchauffement climatique est une réalité, et que les humains sont responsables. La plupart de ces personnes travaillent de manière indépendante, pour des laboratoires et des universités concurrentes. Sachant que prouver qu’une théorie acceptée est en réalité fausse est, dans le monde scientifique, une assurance d’être cité à vie dans tous les articles ultérieures sur le sujet (ce qui est le Graal du scientifique), cela voudrait dire que tous ces gens sont soit payés pour se taire (et se taisent effectivement), soit subissent des pressions terribles, suffisantes pour qu’ils acceptent de participer à un mensonge horrible vis-à-vis de l’ensemble de la population mondiale. Et pas un seul d’entre eux n’auraient eu un sursaut de conscience et dénoncé le complot ? On ne parle pas ici de gens qui se tromperaient, ou qui suivraient aveuglément le mouvement (ça, ce serait moi, dans ce cas-ci !), mais de gens dont l’étude du climat est le métier, qui sont capable de se rendre compte que les conclusions auxquelles ils arrivent sont fausses. Je ne crois pas que ce soit possible.

Le cas de l’alunissage d’Apollo 11 est encore pire. En plus des astronautes, il faudrait qu’au moins une partie des 400.000 ingénieurs, scientifiques et techniciens liés au projet soient complices. Sans compter les politiciens et leurs collaborateurs. Tout ça au nez et à la barbe des russes, qui se seraient certainement jetés sur le moindre indice suspect pour nier s’être fait battre à la course à l’espace.

Les membres du complot pointés par les conspirationnistes n’ont généralement pas assez à gagner dans l’histoire pour justifier leur rôle. Alors… à qui tout cela profite-t-il ?

Une affaire d’argent

Alex Jones, Andrew Breitbart, Thierry Meyssan, Charles Koch

Qu’est-ce qui motive les gens à propager les théories conspirationnistes ? Je ne parle pas ici de ceux qui y croient, et qui éventuellement en parle autour d’eux, ou défendent leur opinion sur des forums internet ou des commentaires YouTube. Je parle de ceux qui sont à l’origine, si pas de la théorie en elle même, mais en tout cas de sa popularisation ?

Je vais mettre de côté ici les sites comme “The Watcher Files”, cité plus haut. Les croyances qui y sont exprimées se trouvent dans une réalité trop différente de la mienne.

Les problèmes viennent plutôt de ceux qui propagent les théories du complot avec cynisme, dans un but soit politique, soit financier. Et, bien souvent, derrière les théories les plus populaires, on retrouve ce genre de personnes. Qui peut être croient aussi à ce qu’elles disent, mais qui en tout cas semblent en pratique plus concernés par des aspects bien moins nobles que l’information des foules…

L’exemple le plus flagrant du “conspirationniste professionnel” est sans doute Alex Jones, qui a bâti un empire médiatique aux États-Unis en jouant sur les peurs des américains, tissant toute l’actualité autour d’une trame dans laquelle chaque acte posé dans le monde vise à un but : réduire la population américaine en esclavage, enfermer les Patriotes dans des camps, confisquer les armes… et mettre des éoliennes partout, sans doute… Andrew Breitbart, maintenant décédé, était de la même veine. À plus petite échelle, on retrouve simplement ceux qui voient dans l’affaire un filon pour écouler des livres. Comme David Icke et ses reptiliens, Thierry Meyssan sur le 11 septembre, ou encore en Belgique Laurent Louis et les réseaux pédophiles. On peut aussi mettre dans cette catégorie des célébrités telles Jenny McCarthy, enchaînant les conférences et livres sur les liens pourtant inexistants entre autisme et vaccination.

Les “conspirationnistes politiques” sont bien illustrés par les activité de l’Heritage Foundation, un groupe de lobbying américain qui investit des milliards de dollars pour lutter contre les législations visant notamment à résoudre les problèmes du réchauffement climatique, et qui sont, par ailleurs et par hasard, liés à la société des frères Koch, dont les intérêts financiers se situent en bonne partie dans l’industrie pétrolière.

En conclusion…

Tout ça pour dire quoi, au juste ?

La popularité des théories du complot n’est certainement pas un hasard. Il y a, bien sûr, la méfiance générale (et souvent justifiée) que l’on ressent par rapport aux gouvernements. Face aux crises financières, face aux guerres, face au terrorisme. Que cela crée un certain scepticisme vis-à-vis des actions de nos élus, c’est tant mieux. Quand on voit l’empressement de certains politiciens à passer des mesures sécuritaires, on est en droit de s’offusquer, et de s’inquiéter.

Le problème survient lorsque des gens un peu trop entreprenant, et présentant un certain manque d’intégrité, décident de jouer sur ces peurs et ces inquiétudes, de les attiser à des fins soit lucratives, soit politiques. Le climat politique actuel souffre déjà d’assez de tension, d’assez de populisme, de solutions symboliques à court terme qui ne causent que plus de dégâts à long terme.

Le conspirationnisme se vend bien. Les sites internet comme The Blaze, InfoWars, ou encore des tabloïds comme le Daily Mail propagent la désinformation et récoltent les bénéfices. Les politiciens populistes n’hésitent pas à prendre le train en marche : il suffit d’aller faire un tour sur le site d’Égalité et Réconciliations, la plate-forme d’Alain Soral et Dieudonné… Ils jouent sur la méfiance des gens envers le système, sur la fierté que l’on peut ressentir à faire partie de “ceux qui savent”, ceux qui ne sont pas des “moutons” suivant aveuglément les médias “inféodés” (lire : au gouvernement… ou bien souvent, aux juifs).

Que peut-on faire, alors ? Rester sceptique face aux réponses faciles. On peut garder un oeil critique sur nos élus sans pour autant leur prêter des intentions plus néfastes qu’une trop forte tendance à l’électoralisme. On peut se méfier des multi-nationales sans voir dans leurs actions autre chose que le produit du système capitaliste international dans lequel elles évoluent. Il n’y a pas nécessairement des intentions néfastes et secrètes derrière des actions dont les résultats sont désastreux.

Restons toujours prudent avant de tirer des conclusions, et soyons conscients de nos propres biais : ils nous poussent parfois à voir le mal là où il n’y a que l’incompétence, et à voir le grand complot là où il n’y a que le chaos normal et prévisible d’un monde globalisé.

XKCD

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