La particratie belge, en quelques chiffres

Adrien Foucart | 19 Mar 2018
2xRien - un blog

Qui dirige la Belgique : les représentants démocratiquement élus, où les dirigeants de parti ? C’est une question à laquelle il n’est bien sûr pas possible de répondre sans savoir ce qui se passe dans “les coulisses du pouvoir”, qui ne seraient pas de très bonnes coulisses si on pouvait les observer.

Ce qu’on peut essayer de mesurer, c’est la tendance des Partis à “verrouiller” le vote des députés. Autrement dit : les élus votent-ils “en leur âme et conscience”, ou sont-ils forcés de suivre une consigne venant “d’en haut”. Bien sûr, on s’attend à ce que les élus d’un même parti tendent à voter ensemble, et à ce que certains votes importants se déroulent “majorité contre opposition”. Mais on devrait pouvoir observer, dans toute la diversité des sujets qui peuvent se retrouver votés à la Chambre, une saine divergence d’opinions et de votes au sein des familles politiques.

Ce n’est en Belgique clairement pas le cas.

En analysant les comptes-rendus des séances plénières de la Chambre, on peut tenter de quantifier cet aspect particulier de la “particratie” belge, en répondant à quelques questions:

  1. Les Partis sont-ils souvent unanimes, ou acceptent-ils une certaine divergence d’opinions dans leurs votes ?
  2. À quelle fréquence les Députés dévient-ils de la “ligne officielle” du Parti ?
  3. Dans quelle mesure les partis du gouvernement peuvent-ils voter indépendamment ?

Des partis unanimes

En date du 1er mars 2018, la 54ème législature de la Chambre avait effectué 1636 votes. Le nombre de votes pour lesquels au moins un membre du parti n’a pas voté avec la majorité du parti oscille entre 11 (CD&V, Open VLD) et 78 (PS)*.

Ces chiffres montrent que, dans l’écrasante majorité des cas, pas un seul député ne dévie de la ligne du parti. Bien souvent, lorsqu’il y a une dissidence, elle est isolée. Au MR, par exemple, il n’y a eu aucun vote sur toute la législature où plus d’un député (sur les 20 élus) n’a pas voté avec le parti.

De rares dissidents

Lorsqu’on regarde les députés individuellement, on peut voir que 64 d’entre eux (sur 150) ont toujours suivi leur parti. La députée la plus “électron libre” de la Chambre est Stéphanie Thoron, qui a voté 70 fois autre chose que le MR. Sur ces 70 fois, on retrouve 67 abstentions, et seulement 3 votes contraires. Pour le second de ce classement (Sébastian Pirlot, PS), seul un vote (parmi les 38 “dissidents”), on retrouve 37 abstentions et un seul vote contraire.

Derrière Mme Thoron, la proportion de votes dissidents chute directement de moitié. Seuls cinq députés ont plus de 2% de leurs votes différents du vote majoritaire de leur parti.

Une majorité inébranlable

La majorité gouvernementale forme un bloc presque absolu au sein du parlement.  Sur les 1636 votes, on en retrouve 1522 (soit 92,86%) où tous les députés MR, N-VA, CD&V et Open VLD sont en parfait accord, sans un seul dissident. Ils se comportent comme un parti unique, votant presque exclusivement ensemble.

Ainsi, on peut calculer le “taux d’accord” entre deux partis comme étant la proportion des votes où la majorité de leurs élus ont émis le même vote. On y voit immédiatement ressortir le bloc majoritaire**.

Même si le bloc “opposition” est nettement moins rigide, le résultat de ces accords inter-partis est assez visible. Si l’on ignore les “petits partis” forcément plus indépendants (Vuyle&Wouters, PP, PTB-GO! et Vlaams Belang) et que l’on regarde la forme que prennent les votes, on voit que la plupart des votes suivent les mêmes résultats: soit une quasi-unanimité, soit un vote majorité contre opposition.De plus, à nouveau, la seule forme de dissidence permise semble être les abstentions. Si l’on retire celles-ci, on retrouve 37% de votes unanimes, 50% de votes majorité contre opposition, et seulement 13% de votes différents (généralement, où un parti de l’opposition rejoint la majorité).

Quelle(s) conclusion(s) ?

Une conclusion semble assez claire sur base de ces chiffres: lorsqu’il s’agit de voter au sein de la Chambre, peut importe qui a été élu, seule la liste compte.

Cela ne veut pas nécessairement dire que les votes de préférence n’ont aucune importance, et que les élections sont une illusion. Le fait d’engranger des voix de préférence permet sans doute de donner plus de poids à un l’opinion d’un politicien au sein de son parti, et l’analyse des votes ignore complètement tous les autres aspects du travail de député : dépôts de motions, travail en commission, etc…

Mais on peut tout de même se poser la question: est-ce bien normal ? Ne serait-ce pas plus sain pour notre démocratie de voir les opinions personnelles des députés mieux reflétées dans une diversité de votes ? Que le parlement ne serve pas juste à tamponner les propositions du gouvernement, mais puisse jouer son rôle de “contre-pouvoir”, avec des débats dont l’issue n’est pas jouée d’avance, pré-décidée dans les bureaux des partis longtemps avant d’être mise au voix ?

L’intérêt d’un système parlementaire avec une élection proportionnelle comme le nôtre est de forcer le débat et la négociation, de partager le pouvoir de décision entre de nombreuses personnes aux opinions divergentes, qui doivent travailler ensemble pour trouver des compromis. C’est un système qui a ses défauts (même lorsqu’il fonctionne comme prévu) et ses avantages, mais qui ne peut qu’être affaibli par une concentration du pouvoir entre les mains des dirigeants de parti de la majorité.

 

Note: le code informatique et les données utilisées pour cette analyse peuvent être récupérés sur GitHub: https://github.com/adfoucart/analyse-chambre-be

* En excluant les petits partis où l’unanimité est moins surprenantes. Aldo Carcaci, unique député du Parti Populaire, peut difficilement voter contre lui-même.

** V&W représente “Veerle & Wouters”, qui ont quitté la N-VA et forment leur propre groupe indépendant à la Chambre.

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