UFO du Soir, bonsoir…

Le Soir, dans un grand moment de haut journalisme (ou parce qu’un stagiaire s’ennuyait), nous publie un superbe article (archivé ici pour si ils pensent à le retirer…) sur une découverte incroyable du robot “Curiosity”, en mission sur Mars depuis 2012 : il aurait découvert une femme ! Là, comme ça, qui se balade.

Comment se fait-il que tous les journaux n’en font pas leurs premiers titres ? Est-ce que Le Soir est simplement mieux informé ? Ont-ils des sources secrètes à la NASA ? Ou bien tout cela n’est-il que de la connerie réchauffée ?

ufo-proofLa preuve par l’image

Puisque Le Soir semble décidé à traiter le sujet avec sérieux, et à se demander si il s’agit “d’un humain ou d’une statue”, en concluant que “Ce n’est pas la première fois que Curiosity rapporte des photos qui laissent planer le doute sur la vie sur Mars”… Prenons le sujet au sérieux, et voyons ce que disent vraiment les images…

Première chose : quelle est la source ? Le Soir cite le très sérieux blog journalistique “UFO Sightings Daily” (sûrement une filiale méconnue du New York Times), lequel, il y a quatre jours, publiait la même information. On peut y lire “Date de découverte: Juillet 2015” et “Lieu de la découverte: Mars”, donc on sait directement que c’est confirmé. En plus, eux aussi sont sérieux et citent leurs sources : “This was discovered by UFOovni2012 of Youtube”. Si M. UFOovni2012 le dit…

La vidéo en question date du 20 juin 2015. Merde, voilà qui rend déjà plus difficile la théorie du “Découvert en Juillet 2015”. À moins que les Martiens ne puissent remonter dans le temps ? Que nous cache-t-on réellement ?

Heureusement, l’article accompagnant la découverte fournit même le lien vers l’image originale, publiée par la NASA. En fouillant un peu sur le site de la NASA, on finit même par trouver la vraie référence : il s’agit d’une photo prise par une caméra montée sur le “mât” de Curiosity. Sur ce schéma, c’est la “Left Mastcam”. La photo a été prise au “Sol 1001”, c’est à dire le 1001ème “jour martien” de la mission, ce qui correspond au 31 juin 2015, à 20h38min14s UTC. Bon, ça fait presque juillet, donc on va dire que c’est bon 31 mai 2015, à 20h38min14s UTC, ce qui nous change encore le mois de la découverte… [Corrigé : merci Ben!]

ufo-original-nasaL’original (NASA)

Ce qui est intéressant avec l’image originale, c’est qu’on voit assez vite que le contraste n’est pas du tout le même que sur la “preuve” montrée dans l’article du Soir (et dans les vidéos des Ufologues, mais eux ont l’excuse de ne pas être tenus à des standards journalistiques…). C’est donc un signe que la preuve, gasp, pourrait être falsifiée ? Impossible ! Si on découpe l’image originale de la NASA de la même manière que l’image “preuve” du Soir, on arrive à ceci :

nasa-croppedLa preuve par l’image ?

Alors, qu’est-ce qu’il se passe dans cette image ? Zoomons un peu :

nasa-cropped-big Tout s’éclaire !

Bon, qu’est-ce qui peut causer cette apparition fantomatique ? On voit ici plusieurs choses : premièrement, beaucoup d’artefacts de compression. Qu’est-ce que c’est ? Quand Curiosity envoie ses données sur Terre (ou quand la NASA les mets en ligne), elles sont “compressées” en format JPG. La connexion vers Mars est assez lente (pire que Belgacom), donc il vaut mieux économiser la bande passante quand ce n’est pas absolument nécessaire. Et quand on compresse une image en JPG, on obtient une image qui, vue de loin, correspond à peu près correctement à l’image originale (les “basses fréquences” de l’image sont préservées), mais est toute pourrie quand on zoom (les “hautes fréquences” sont dégommées). Du coup, on a pleins de pixels groupés bizarrement, et de manière générale on ne peut jamais être trop sûr de ce qu’on voit. Si on va vraiment à fond dans le zoom :

nasa-cropped-bigger Enhance !

Les artefacts sont beaucoup plus clairement visible que la fameuse femme mystérieuse. Bon, mais qu’est-ce que c’est, finalement, ce truc ? Je suis quasiment sûr que les “seins” de la demoiselle sont un rocher, et que la chevelure est l’ombre du rocher. Le “corps” est possiblement la combinaison des ombres de petits rochers autour et d’artefacts de compression.

Quand au phénomène très humains qui fait que l’on a tendance à voir dans n’importe quelle image de caillou des visages ou des silhouettes, il est bien connu et bien documenté, et s’appelle Paréidolie, et est du au fait que le cerveau humain est super fort pour reconnaître des objets connus dans des formes inconnues et aléatoires. Une théorie est que, d’un point de vue sélection naturelle, celui qui voit un tigre ou un ennemi humain dans les fourrés alors qu’il n’y avait que des ombres et des tâches survit, alors que celui qui dit “ah, c’est juste une ombre” alors qu’il y avait un tigre se fait bouffer la gueule. Du coup, on a tendance à être prudent et à dire “Tigre!” partout. (Ou dans ce cas-ci : “fille à moitié à poil!”, parce que les préoccupations humaines ont visiblement changé entre temps).

Tout ça pour dire : merci au Soir de faire du grand journalisme, je n’ai même plus besoin d’aller voir sur des sites de théorie du complot pour trouver des bêtises pareilles, ça arrive directement dans le journal !

Windows 10 : premières impressions

Un grand sage a dit : “si tu installe une version de Windows avant le premier Service Pack, tu vas avoir des emmerdes.”

Un an passé sur Windows 8 m’a convaincu d’ignorer le grand sage et de lancer la mise à jour. J’utilise Windows 10 depuis maintenant une semaine, et pour l’instant c’est globalement une bonne expérience. Globalement.

Windows 10 répond à sa promesse principale : un retour à la dernière version qui marchait (Windows 7), sur lesquelles viennent se greffer des petites améliorations d’interface, et quelques fonctionnalités plus ou moins utiles. Le menu “Démarrer” est bien revenu, et il est plutôt bien, avec des accès rapides aux documents et applications récents et souvent utilisés, et des fonctionnalités de recherche plutôt efficaces. Il paraît que le nouveau navigateur, Edge, est bien aussi, mais je n’ai pas encore vraiment testé. La mise à jour était facile à effectuer. La stupide interface “Metro” a disparu.

Le premier problème auquel je me suis heurté, c’est la fourberie de la “Configuration Express” de Windows 10 lors de la mise à jour. Par défaut, Windows 10 envoie tout ce qu’on tape au clavier et tous nos clics de souris à Microsoft. Google fait pareil sur les téléphones Androïd, mais ils ont un peu plus l’excuse de vouloir améliorer les fonctions “auto-correct” et autres qui rendent l’utilisation d’un GSM nettement plus facile. Pour un ordinateur… Le besoin est moindre, et le risque de dérive nettement plus important. Bref : désactivé. Windows remplace aussi toutes les applications “par défaut” : Edge comme navigateur, leur lecteur média pour les vidéos, etc… Tout ça peut être changé en trouvant le petit bout de texte “custom configuration” planqué en bas de l’écran de configuration express…

Ça, c’est pour les problèmes qui n’en sont pas vraiment, puisqu’ils sont voulus par Microsoft. Depuis la mise à jour, je me suis aussi retrouvé avec des bugs plus traditionnels : problème de driver pour mon “touchpad”, DLL manquante pour Visual C++ qui empêche une partie des programmes de s’exécuter, gestion un peu bizarre de la mise en veille / verrouillage de l’ordinateur…

Des problèmes assez vite réglés par une recherche Google, mais qui sont toujours un peu pénibles.

En conclusion : est-ce que je suis satisfait de Windows 10 ? Plutôt, oui. Je ne regrette en tout cas pas de laisser Windows 8 derrière moi, et cette version semble prometteuse. Est-ce que je recommande la mise à jour ? Pas encore, sauf si vous aimez jouer à chipoter dans des panneaux de configuration pour que tout fonctionne comme il faut.

L’Agreement selon Michel

Toute ressemblance avec des personnes ou des faits réels serait purement fortuite.

Il est huit heure trente du matin, le lundi 13 juillet 2015. Charles Michel fait son entrée dans la salle de réunion. Un silence tendu règne dans la pièce, et c’est sous le regard de tous les chefs d’État européens qu’il va s’asseoir sur sa chaise, la seule encore libre. Il sort de son cartable un bic à quatre couleurs et un rouleau de Tipp-Ex (on est jamais trop préparé), et les pose avec assurance sur la table. Son voisin lui glisse à l’oreille :

“Ca fait une demi-heure qu’on est là…”

Charles s’offusque : comment, cela fait une demi-heure que tout le monde est là, à se regarder sans parler ? Comment voulez-vous qu’on arrive à quelque chose dans ses conditions ? Il est temps que quelqu’un de sérieux prenne les choses en main. Il redresse la tête, croise le regard de Hollande, de Merkel. Il fixe Donald Tusk, et lève la main. Donald semble hésiter, puis lui fait un signe.

“Monsieur Michel, qu’y a-t-il ?”

Charles Michel se racle la gorge. C’est son grand moment sous les feux de la scène européenne.

“Monsieur le Président du Conseil européen, messieurs et mesdames les premiers ministres, président, chanceliers…” Il marque une pause. Tous son suspendus à ses lèvres. “Il me semble que nous sommes en train de perdre notre temps. Qui presse, d’ailleurs. Il est l’heure de sonner la fin des haricots, et de mettre les points sur les j. Ce qu’il faut maintenant, c’est poser les bonnes questions. Monsieur Tsipras !”

Alexis Tsipras a l’air épuisé. C’est un homme qui a besoin d’une bouée de sauvetage, et Charles se sent aujourd’hui l’âme d’une bouée.

“Monsieur Tsipras, voulez-vous un accord pour aider le peuple grec ?”

Tsipras échange un regard perplexe avec ses voisins de table, qui haussent les épaules d’un air impuissant. Ils comprendront bientôt ! Tsipras répond.

“Oui, évidemment.”

Charles Michel ne perd pas de temps. Il se tourne de l’autre côté.

“Madame Merkel, voulez-vous un accord pour aider le peuple grec ?”

“Ja, Charles, tout le monde ici veut un accord.”

Tout le monde ici veut un accord. Charles ne peut plus retenir son excitation. Il s’exclame :

“Voilà ! Tout le monde veut un accord ! Je suis content qu’on y soit arrivé.”

Charles sourit à tout le monde. Timidement, les gens lui rendent son sourire et échangent des regards. Ils ne semblent pas encore réaliser ce qui vient de se passer. Ils n’ont pas saisis l’importance du moment. Charles sort son téléphone (discrètement sous la table, il ne faudrait pas qu’Angela le confisque !) et se connecte sur son compte Twitter. Il écrit un mot : “Agreement”, et range son téléphone. Donald Tusk rompt le silence qui s’était installé.

“Bon, après cette interruption et maintenant que tout le monde est là… Reprenons.”

Reprenons ? Mais ils étaient d’accord ! Enfin, Charles supposait qu’il y avait encore des détails à régler, c’est vrai. Mais tout cela ne pouvait-il pas se faire juste entre Angela, François et Alexis ? Maintenant que leur différend était effacé par le talent diplomatique belge, ils arriveraient certainement tout seul à régler ça. La voix de Donald était monotone, et Charles avait du mal à rester concentrer. Il commença discrètement à dessiner sur un coin de son cahier. Il était fier de lui. Aujourd’hui, il avait fait honneur au nom de Charles Michel, et à la Belgique entière.

Le monde retiendrait que, en ce jour, c’est lui qui avait compris.

Ceci n’est pas mon Europe

L’Europe montre ces derniers mois un triste visage. Toute prétention de faire de l’Union Européenne un moteur de solidarité et de stabilité a été sacrifiée sur l’autel de la sainte Austérité. C’est le seul test qui semble compter pour savoir si un pays, si un gouvernement est fréquentable ou non, si son élection est légitime ou non.

C’est une Europe dans laquelle le gouvernement fascisant de Viktor Orban est un interlocuteur respectable, dans laquelle les politiques néo-franquistes de Rajoy sont totalement raisonnables, mais dans laquelle proposer des alternatives à l’austérité conduit à être immédiatement condamné comme un dangereux radical manquant du sérieux requis pour diriger un pays. Tsipras a concédé sur presque tous les points, il a accepté presque tout ce que demandaient ses créanciers, il a fait avaler à son pays des réformes auxquelles il ne croit pas et dont le peuple grec ne veut pas, cédant au chantage de ses créanciers… et ce n’est pas suffisant. Le président du parlement européen Martin Schulz l’a dit assez clairement : tout ce que l’Europe attend, c’est de voir Tsipras parti, Syriza anéanti, et un gouvernement de technocrates prêt à dire oui à tout, sans poser de questions, sans oser demander si vraiment ces réformes vont faire autre chose que profiter aux banques et enfoncer encore plus la population dans la misère.

L’Europe solidaire, l’Europe sociale, a-t-elle vraiment jamais existé ? Après tout, l’Union Européenne est née d’accords économiques de libre échange et d’accords militaires de protection mutuelle. La solidarité n’a jamais été qu’une pensée après-coup.

Au lieu de l’Europe solidaire, on a l’Europe austère.

Au lieu de l’Europe démocratique, on a l’Europe qui obéit aux ordres de Merkel. Ceux qui espéraient voir Hollande ramener l’Europe vers le centre peuvent oublier l’idée : à part quelques protestations d’usage, Hollande a rejoint le rang derrière la chancelière allemande.

Au lieu de l’Europe ouverte et pluraliste, on a l’Europe qui repousse les immigrés, qui crache sur les Roms, qui juge un pays sur son PIB et sa dette plutôt que sur la façon dont il traite ses pauvres, ses malades, ses minorités.

Cette Europe n’est pas la mienne. Je crois à une Europe qui ne cherche pas à fermer ses frontières, à une Europe qui prend soin des pays en difficulté pas pour qu’il puissent rembourser leurs prêts mais parce que prendre soin les uns des autres nous rend plus forts, plus unis, plus soudés. Parce que malgré tous ses défauts, l’Europe a maintenu la paix dans la région depuis plus de soixante ans, et que quand on abandonne un pays de l’Union, on fait un pas vers un retour à une Europe fractionnée, plombée par le nationalisme.

Les dirigeants européens prétendent que l’Europe ne sera pas affaiblie par un Grexit. C’est peut-être vrai sur le plan économique et à court terme. Mais ça marquerait le début de la fin. L’Europe doit pouvoir accepter des opinions contradictoires en son sein. Si le choix qu’on donne est “l’austérité ou la porte”, combien de temps faudra-t-il pour que tout le monde prenne la porte ? Si Podemos gagne les prochaines élections espagnoles, seront-ils traités de la même manière que Syriza ?

L’Europe doit se transformer si elle veut survivre. Si elle reste MerkelLand, elle est condamnée, et avec elle l’ère de paix, de stabilité et de prospérité à laquelle nos dernières générations ont pu s’habituer.

Pluton enfin dévoilée

Pluton a beau avoir été éjectée du club sélect des huit “vraies” planètes du système solaire, on pourrait penser qu’un objet aussi important, aussi proche de la Terre à l’échelle cosmique, serait déjà bien connu. Pourtant, ce n’est que maintenant, avec le passage de la sonde New Horizons, que l’on découvre les premières photos détaillées de sa surface.

La découverte “officielle” de Pluton date de 1930. Les astronomes se doutaient depuis quelques temps déjà de sa présence : des anomalies dans les orbites d’Uranus et de Neptune montrait que “quelque chose” se trouvait dans cette région de l’espace. Cet objet mystérieux, appelé “Planète X”, était avidement recherché par de nombreux observatoires, qui tentaient de prédire sa localisation pour pouvoir capturer une preuve photographique. En 1930, cette preuve arrive :

pluto_discoveryPluton, en 1930.

La méthode utilisée était assez simple sur le principe : prendre une photo du même bout de ciel où l’on s’attend à la voir passer à quelques jours d’intervalle, et regarder si il y a quelque chose qui a bougé entre les deux observations. Les étoiles, “infiniment” lointaines, restent au même endroit. Les planètes, plus proches, bougent. À l’heure actuelle, ce genre d’observation peut être effectué automatiquement très facilement. À l’époque, ça impliquait de donner à un nouveau pleins de photos “avant-après” et de lui demander de jouer aux sept différences.

Pendant les années qui ont suivi, des calculs divers permettent de se faire une meilleure idée de sa taille, sa masse et sa composition, mais il faut attendre les années 80 pour avoir la première idée de ce à quoi ressemble la surface :

pluto_charon_surfacePluton et Charon. D’après Buie, Tholen & Horne, Albedo Maps of Pluto and Charon: Initial Mutual Event Results, Icarus 97, 1992 [PDF].

Ce n’est toujours pas une photo. Cette image est calculée à partir d’une série d’observations : lorsque Charon, la lune de Pluton, passe devant la surface de celle-ci, elle y porte son ombre. Depuis la Terre, on observe alors une baisse de la luminosité de Pluton (puisque sa surface est en partie masquée). Lorsque Charon masque une zone plus brillante de Pluton, la diminution de luminosité est plus forte ; lorsqu’elle masque une zone plus sombre, la diminution est moindre. En combinant les observations de luminosité sur de multiples passages, on peut ainsi constituer une carte grossière des zones sombres et lumineuses de Pluton.

Jusqu’à aujourd’hui, c’est globalement tout ce qu’on avait. Des observations du télescope Hubble au début du XXIème siècle ont permis d’améliorer nettement le niveau de détail… mais toujours sans photo directe de la surface.

En 2006, la NASA a lancé la sonde New Horizons pour remédier au problème. Ce 14 juillet 2015, après neuf ans de voyage, la sonde est passée en coup de vent à proximité de Pluton et de ses lunes. Le temps de prendre quelques photos avant de continuer son chemin dans le vide de l’espace. Pas question en effet de revenir : New Horizons se déplace à prêt de 14 km/s, et laissera bien vite Pluton et l’ensemble du système solaire derrière elle, avant de s’éteindre entièrement d’ici 2030.

pluto_new_horizonsSurface de Pluton vue par New Horizons, 14 juillet 2015

New Horizons est incapable de communiquer avec la Terre en même temps qu’elle prend des photos : pendant de nombreuses heures, pendant qu’elle récupérait les précieuses données pour lesquelles elle a quitté notre planète il y a dix ans, elle est restée silencieuse. Elle a ensuite pu tourner à nouveau son antenne vers nous et a envoyé son statut. La NASA estimait à 2/10.000 ses chances d’être détruite durant son passage : à la vitesse où elle se déplace, un contact avec un caillou ou un débris de glace est fatal. Le signal qui est revenu disait en substance : “tout va bien”. La position, la vitesse, le niveau d’énergie, le nombre d’images prises, la position des capteurs, tout semble correspondre aux prédictions. Dans les jours et les mois qui viennent, les images et mesures détaillées devraient être transmises (la connexion n’est pas hyper rapide à cette distance…), et les astronomes pourront enfin travailler sur des images de bonne qualité.

Pluton rejoint donc la courte liste des astres explorés. Seules la Terre et la Lune ont été touchées par l’homme ; des sondes se sont posées sur Mars, Vénus, Titan et une comète ; d’autres sont passées à proximité de Mercure, Jupiter et ses lunes, Saturne, Uranus, Neptune, quelques astéroïdes, et maintenant Pluton. À l’échelle cosmique, nous n’avons donc en réalité rien vu, rien découvert. Nous avons exploré un grain de sable sur la plage. On ne sait pas encore si le reste de la plage contient un trésor enfoui, ou si elle est couverte de crottes de chiens. L’ère spatiale ne fait que commencer…

Les RéactioNerds, la majorité opprimée

Les jeux vidéos, la science-fiction, la fantasy : le stéréotype veut que ces domaines clés de la geekitude soient un domaine masculin. Depuis quelques temps, cependant, des représentantes de la gent féminine ont l’audace de frapper à la porte de ce club privé, et de rappeler aux professionnels du milieu que elles aussi ont des sous et voudraient bien acheter des jeux vidéos et des livres, mais que pour ça il faudrait peut-être diminuer les poses hyper-sexualisées sur les couvertures, et proposer d’autres jeux que “Super Soldier vs Bad Guys 5 : In Space”.

Certaines personnes prennent ça mal. Ces geeks réactionnaires (ou : RéactioNerds) refusent de voir changer ce milieu, parce que sans sexisme, les jeux vidéos perdent évidemment tout leur sel. Et pour faire valoir son avis, cette majorité opprimée par la terreur féministe sont prêts à se battre jusqu’au bout. Deux champs de bataille en particulier font couler beaucoup d’encre virtuelle : GamerGate et PuppyGate…

GamerGate : l’éthique du sexisme dans les jeux vidéos

quinn-sarkeesian-wuQuinn, Sarkeesian et Wu : les cibles principales de GamerGate (via Upstart)

Les jeux vidéos ont un léger problème de sexisme. Ce n’est pas nouveau. 90% des développeurs de jeux vidéos sont des hommes, avec peu de diversité socio-culturelle, ce qui conduit, forcément, à une certaine homogénéité dans les thèmes et les clichés utilisés. Mario sauve la princesse. Link sauve la princesse. La princesse n’est visiblement jamais foutue de se sauver elle-même. En 2012, Anita Sarkeesian, fondatrice du site Feminist Frequency, décide de lancer une série vidéo pour parler du problème : Tropes vs Women in Video Games. Elle lance une campagne de récolte de fonds sur Kickstarter. Les RéactioNerds passent à l’attaque. Menaces de mort, harcèlement permanent sur les réseaux sociaux, page Wikipédia vandalisée à coup de montages Photoshop pornographiques et/ou antisémites… Ces réactions n’ont rien de nouveau, et ont poussés d’autres féministes avant elle à disparaître entièrement d’internet, à choisir de la fermer pour faire cesser les menaces. Mais avec Anita Sarkeesian, une chose improbable se produit : sa campagne Kickstarter profite de la publicité générée par la campagne de harcèlement, et explose complètement les objectifs prévus. Elle demandait 6.000 dollars, elle en a récolté plus de 150.000.

On ne parlait pas encore à ce moment là de “GamerGate”, même si le mouvement était globalement le même. Pour ça, il faut attendre Zoé Quinn. Développeuse indépendante, elle a réalisé Depression Quest, un jeu gratuit qui essaie de mettre le joueur dans la peau d’une personne dépressive. Le jeu a reçu de nombreuses critiques positives et, sans avoir vraiment un succès de masse (logique vu le thème), a néanmoins acquis une petite notoriété comme, justement, quelque chose de différent, une tentative de repousser les limites du genre. Mais voilà, Zoé Quinn avait un gros problème : son ex. Eron Gjoni n’était visiblement pas très heureux de sa rupture avec Quinn. Il a décidé de se venger en publiant l’an dernier un long, très long compte-rendu de toutes les infidélités que celle-ci lui aurait faite. Ce quasi-roman a été largement ignoré par tout le monde… sauf par les RéactioNerds, évidemment. Sur les forums de 4chan, une vaste campagne a commencé à s’organiser. Des photos de Quinn nue ont été trouvées et diffusées largement, la machine à harcèlement était en route.

C’est là que certains esprits entreprenant ont eu une idée. Quinn avait, selon son ex, couché avec un journaliste travaillant pour Kotaku, magazine de jeu vidéo en ligne qui avait publié une critique positive de Depression Quest. La narration s’est transformée, passant de “harcelons cette petite pute qui couche avec tout le monde !” a “c’est une atteinte à l’éthique journalistique !” Sous ce déguisement lui donnant un semblant de légitimité, GamerGate était né.

Ça fait un an que ça dure. Le mouvement a un peu évolué : chassé de 4chan par le fondateur, qui en avait marre de voir son site utilisé pour ce genre de campagnes, il s’est réfugié sur 8chan (dont la règle de modération est : tant que la pédo-pornographie est quand même un peu planquée, faites ce que vous voulez) pour la partie harcèlement, et sur Reddit pour la couverture légitime. En façade, le but est maintenant de s’attaquer aux problèmes d’éthique et de collusion entre journalistes et développeurs. En pratique, le mouvement cherche à empêcher toute diversification des jeux vidéos, et s’attaque quasiment exclusivement aux développeurs (et surtout aux développeuses) et critiques indépendants. Un an après, leurs cibles principales restent Zoé Quinn et Anita Sarkeesian, ainsi que Brianna Wu, une autre développeuse qui s’est très tôt opposée vocalement à GamerGate.

PuppyGate : on a déjà assez de diversité comme ça

Rabid-PuppiesRabid Puppies V (via File770)

Chaque année, des fans de science-fiction et de fantasy se rassemblent pour la World Science Fiction Convention (WorldCon), dont l’événement phare est la remise des Hugo Awards. Ce qui différencie les Hugo des autres prix prestigieux du genre, c’est qu’il est entièrement déterminé par le public. Le système est assez simple : dans une première phase, toutes les personnes qui ont acheté un ticket pour WorldCon (soit pour aller sur place, soit un ticket “de soutien” qui donne juste accès au vote) peuvent nominer des oeuvres ou des personnes dans toute une série de catégories allant de meilleur roman ou meilleure nouvelle à meilleur magazine professionnel ou meilleur éditeur. Les cinq candidats recevant le plus de nominations dans chaque catégorie sont inscrits sur les bulletins de vote. La seconde phase est le vote parmi les nominés sélectionnés, lors de la conférence elle-même.

Mais voilà : certains auteurs et éditeurs ont depuis quelques années l’impression que WorldCon et les Hugo Awards – et la communauté SF&Fantasy en générale – ont une fâcheuse tendance à se diversifier, à nominer des histoires qui sortent du moule traditionnel “marine de l’espace” ou “aventurier super-balèze”. Certaines histoires seraient même écrites par des femmes! On ne peut quand même pas laisser faire ça! C’est ainsi que les mouvement “Sad Puppies” lancé par les auteurs Brad Torgersen et Larry Correia, et le mouvement “Rabid Puppies” par l’éditeur / auteur Theodore Beale, se sont créés. Leur but : proposer à tous les RéactioNerds de s’accorder sur une série de candidats à nominer dans toutes les catégories, pour avoir des bulletins de vote remplis par leurs choix (et par leurs propres oeuvres, tant qu’ils y sont). Il y a généralement moins de gens qui participent aux nominations qu’au vote final : il faut donc relativement peu de votes pour faire une grosse différence. La mobilisation des Puppies a été au rendez-vous, et lorsque le résultat des nominations a été publié par WorldCon, les bulletins de votes se sont retrouvés entièrement remplis par les choix des Puppies.

La controverse qui a suivit ne s’est pas encore éteinte, et durera probablement jusqu’en août, lorsque le vote aura lieu. Il y a ceux qui appellent à voter “Personne” pour chaque catégorie ; ceux qui rappellent que les auteurs n’ont pas demandés à se retrouver dans ces listes, et qu’ils devraient être jugés sur leur mérite indépendamment de la politique de la situation ; et ceux qui se congratulent d’avoir réussit à complètement bousiller la légitimité d’un prix qui jusqu’à présent était l’un des plus respectés de l’univers SF. Robert Heinlein, Philip K. Dick, Arthur C. Clarke, Isaac Asimov, Ursula Le Guin, Orson Scott Card, Dan Simmons, Loïs McMaster Bujold, Neal Stephenson, J.K. Rowling, Neil Gaiman… La liste des vainqueurs du prix du meilleur roman parle d’elle-même quand au prestige associé.

La situation actuelle est tellement absurde que Georges R. R. Martin, plutôt que de travailler sur The Winds of Winter, a écrit sur son blog sur le sujet de quoi remplir plusieurs épisodes de Game of Thrones (avec nettement moins de sexe, et un peu moins de violence).

Les RéactioNerds : gagnent-ils du terrain ?

Les campagnes répétées de harcèlement et les menaces de mort font de l’effet. Pour certaines cibles, la pression est trop grande, et il n’est pas rare que les RéactioNerds arrivent à leur objectif : qu’elles se taisent.

Ils se posent en défenseur de la liberté d’expression. La leur, celle de pouvoir cracher tout leur vitriol à la figure de ceux (et surtout celles) qui osent dire que, peut-être, il y a encore des améliorations à faire dans notre société pour atteindre l’égalité des sexes.

La tendance générale, cependant, n’est pas en leur faveur. Même les sites qui ont longtemps servis de plateforme aux campagnes anti-féministes tentent de se distancer du mouvement. 4chan a chassé GamerGate de ses serveurs, poussant ses utilisateurs à migrer vers son clone plus 8chan, plus permissif. Zoé Quinn a été invitée à témoigner devant le Congrès américain sur la problématique du cyber-harcèlement. Les vidéos de Anita Sarkeesian comptent des centaines de millier de vues, et dépassent régulièrement le million pour celles consacrées à sa série “Tropes vs Women in Videogames”. Twitter, où se déroule une bonne partie du harcèlement, s’attaque sérieusement au problème.

Il y a encore du progrès à faire. Jouer aux jeux vidéos en ligne en tant que femme reste une épreuve. Les problèmes de harcèlement sexuel dans les conventions “geeks” sont récurrents. Mais les gens en parlent, et la haine et la violence qui ressort de GamerGate ou de PuppyGate aura au moins remplis ce rôle à : montrer au grand jour la toxicité du milieu. Et peut-être, ainsi, contribuer à accélérer sa transformation.

Des livres à lire, suite…

Comme la dernière fois, mon “top des livres que j’ai lu récemment”.

emmanuel-carrere
Emmanuel Carrère

  1. Emmanuel Carrère
    Emmanuel Carrère est ma découverte de l’année, et je pourrais remplir ma liste avec tous les récits et romans que j’ai lu de lui, mais je vais tous les rassembler en un. Récits mêlant auto-biographie et journalisme d’investigation, il donne vie à des personnages tordus, paumés, malsains. Il fait pire : il essaie de rentrer dans leur tête, de nous mettre à leur place.

    • Le Royaume nous lance sur la piste de Saint Luc et de Saint Paul, et cherche à deviner les motivations et les pensées des pionniers du christianisme.
    • L’Adversaire retrace la vie et les mensonges de Jean-Claude Romand, qui pendant 20 ans a fait croire à sa femme, ses enfants, sa famille et ses amis qu’il était un médecin travaillant à l’OMS, alors qu’il avait raté ses études et ne travaillait pas. Lorsque son mensonge a commencé à s’effriter, il a tué sa femme et ses enfants, et a tenté de se suicider.
    • Limonov nous entraîne sur les pas de Edouard Limonov, qui fut poète dissident sous le régime soviétique, clochard à New York, écrivain à Paris, combattant dans les Balkans, et finalement fondateur à Moscou du Parti National-Bolchévique, interdit par Poutine.
    • Un roman russe est un récit auto-biographique sur un reportage qu’il est allé faire dans un bled paumé en Sibérie, mêlé à ses problèmes de couple et à sa relation avec sa mère.
    • La Moustache, contrairement aux livres précédents, n’est pas un récit à la première personne, mais un roman plus traditionnel, sur un homme qui se rase la moustache qu’il avait toujours porté jusque là. Mais personne ne semble le remarquer. Est-il fou ? Sont-ils fou ? Est-ce une blague élaborée ? L’histoire est une descente superbement exécutée dans la folie et le mensonge.
  2. 1491 : New Revelations of the Americas (Charles C. Mann)
    À quoi ressemblait vraiment le continent américain avant l’arrivée des européens ? Pendant des années, les historiens ont minimisé l’importance des civilisations pré-colombiennes. Charles Mann fait le point sur les recherches archéologiques plus récentes, qui montrent que les peuples américains étaient plus diversifiés, plus complexes et plus nombreux qu’on ne les représente généralement. Les premiers explorateurs faisaient état de successions de villages le long des fleuves, de grandes zones de populations. Lorsque les premiers colons sont arrivés, ils ont trouvé un monde de nomade, un monde dépeuplé par l’épidémie de variole.
  3. Old Man’s War (John Scalzi)
    Un excellent récit de science-fiction, par un excellent auteur. En quelques mots : il y a la Terre et les Colonies. La Terre est en quarantaine, les Colonies sont toutes contrôlées par une toute-puissante autorité coloniale. Les terriens ont la possibilité, lorsqu’ils atteignent l’âge de 60 ans, de rejoindre l’armée coloniale pour un service de dix ans, après quoi ils peuvent s’installer sur une des colonies. Beaucoup de terriens le font, parce qu’ils imaginent que l’armée coloniale dispose d’une technologie leur permettant de retrouver leur jeunesse. Sinon, pourquoi prendraient-ils des vieux pour leur armée ?
  4. Candide ou l’Optimisme (Voltaire)
    Parfois, on peut s’attaquer aux très vieux classiques, et on est agréablement surpris. Candide est une réflexion ironique sur la nature humaine, et le texte donne toujours l’impression d’être d’actualité. Oui, c’est un peu dur de découvrir Candide à 27 ans en 2015, mais je ne devais pas faire attention en cours de Français quand on l’a vu…
  5. Banished: Surviving My Years in the Westboro Baptist Church (Lauren Drain)
    La Westboro Baptist Church, c’est l’église aux Etats-Unis qui s’est fait connaître par ses manifestations anti-gays controversée, et son slogan “God Hates Fags”. Ils font régulièrement des manifestations aux abords des funérailles de soldats américains, pour exprimer leur opinion que Dieu fait mourir les soldats américains pour punir l’Amérique de sa tolérance vis-à-vis des homosexuels. Toute l’église est organisée autour de la famille Phelps, et toute dissidence est traitée par un ostracisme absolu. Lauren Drain et sa famille ont rejoint le groupe lorsqu’elle était adolescente. Elle a finit par en sortir, et raconte son expérience.

Des Belges parmi les victimes ?

Quel est le point commun entre tous ces articles ?

drapeau-belgeBien sûr, il est naturel d’être plus touché par les problèmes des gens dont nous sommes proches. Nous serons toujours plus affecté par la mort d’une personne de la famille que par 100.000 morts à l’autre bout du monde. Mais lorsque les journaux rapportent ainsi des drames, sont-ils vraiment obligés de nous fournir le décompte par pays, dans l’ordre où l’on est supposé y faire attention ? D’abord les morts belges, puis les français, hollandais et luxembourgeois, puis ceux des autres pays européens. Les autres ne seront jamais qu’une statistique. Ils n’ont pas la même culture, pas la même couleur de peau, pas la même religion, ils habitent loin, ils sont pauvres, et ils ne risquent pas d’acheter pas Le Soir.Chaque fois qu’il y a une catastrophe quelque part, peu importe l’étendue des dégâts, le nombre de vies perdues, le nombre de gens plongés dans la misère, une seule chose apparemment nous intéresse : oui mais, est-ce que des Belges ont souffert aussi ? Sinon… on est supposé être soulagé ? Quand on lit “a priori pas de Belges parmi les victimes”, on doit se dire : “Ouf ! C’est déjà ça !” ?

Bilderberg 2015 : la conférence super-secrète qui fait peur

Laurent Louis a un scoop : la liste des participants à la Conférence du Groupe Bilderberg 2015, qui “décideront en toute opacité de notre avenir“. Sa source: MetaTV, un site conspirationniste qui publie des articles parfaitement crédibles, comme “Documents déclassifiés du FBI : Hitler n’est pas mort, il a fui vers l’Argentine”. Alors, comment se sont-ils procurés, eux, ce nouveau document certainement ultra secret ? Un groupe de gens qui – toujours selon Laurent Louis – “créeront des guerres, établiront les résultats d’élections futures, détermineront à quelle sauce les travailleurs serons mangés, prépareront les nouvelles supercheries médiatico-politiques et dévoileront entre eux, en comité restreint, l’identité des prochaines victimes de la mondialisation et du nouvel ordre mondial” devrait certainement faire plus attention à ne pas laisser traîner ses papiers partout !

MetaTV liste comme source Fawkes News, qui semble publier exactement les mêmes articles, donc je suppose que les deux sites sont liés. Fawkes News ne donne pas de source, alors d’où vient cette information ? Car ils n’ont pas que la liste des participants, mais ils ont aussi la liste des sujets qui y seront discutés : “L’Intelligence Artificielle, La Cyber-Sécurité, La menaces des armes chimiques, Les enjeux économiques actuels, La Stratégie européenne, La mondialisation, La Grèce, L’Iran, Le Moyen-Orient, L’OTAN, La Russie, Le terrorisme, Le Royaume-Uni, Les USA, Les Elections américaines”.

L’information, en réalité, vient d’un communiqué de presse… de la Conférence Bilderberg. Qui contient la liste des participants, les sujets, le lieu… bref, toutes les informations reprises par les sites conspirationnistes. Tout de suite, ça fait moins secret, évidemment.

Est-ce que c’est une bonne chose pour la démocratie, que toutes ces personnes puissantes (on y retrouve entre autres Barroso, Alain Juppé, le président de Google Eric Schmidt… et Charles Michel ! Alexis Tsipras n’a malheureusement pas été invité…) se retrouvent hors de vue des caméras, pour des discussion sérieuses dont ne sortent aucun compte-rendu, aucune décision officielle, aucun vote ? C’est discutable. Le fait que des patrons de l’industrie et des politiciens ayent l’occasion de dialoguer sans pression des médias peut certainement avoir un impact positif. Le manque de transparence, tant sur le résultat des discussions que sur le processus de sélection des invités, rend la démarche nettement moins intéressante. Mais le fossé entre “réunion informelle de gens influents” et “réunion super-secrète des leaders du Nouvel Ordre Mondial” me semble un petit peu trop large que pour pouvoir le franchir sans preuves nettement plus convainquantes que des schémas à la lisibilité douteuse

Vote électronique : vote démocratique ?

Le 25 mai 2014, les belges se rendaient aux urnes pour un triple scrutin législatif, régional et européen. Dans 17 des 19 communes bruxelloises, le système de vote utilisé est électronique, et fonctionne depuis 1994 sans accrocs. Cette fois-ci, cependant, il y a un bug. Les résultats se font attendre, les explications aussi. Quelques jours plus tard, les informations commencent à sortir : environ 2000 votes ont du être annulés car le logiciel comptabilisait mal les voix lorsque l’utilisateur était revenu en arrière pour changer son choix.

Le nouveau journal coopératif “Médor” en a fait le sujet son premier dossier d’investigation. Je n’aime pas trop ce dossier, qui en cherchant à présenter les faits d’une manière plus ludiques, sous forme d’enquête, perd je trouve beaucoup en clarté. Le fait qu’une grande partie de leurs informations techniques viennent d’un “hacker” non-identifié n’aide pas non plus à apporter la crédibilité requise. Mais avec leurs informations, celles publiées par l’association PourEVA (Pour une Éthique de Vote Automatisé), et aussi le code source du système de vote ainsi que l’explication du bug publié par le Ministère de l’Intérieur, on peut se faire une bonne idée de ce qui s’est passé.

  1. Partie technique : le Code et le Bug
  2. Un vote démocratique et sécurisé, c’est quoi ?
  3. Vote électronique, stop ou encore ?

1. Partie technique : le Code et le Bug

L’application de vote automatisé JITES a été développée par la société Stésud, rachetée depuis par le groupe NRB via sa filière Civadis. Ils ne sont pas les seuls en cause : le code est contrôlé de manière indépendante avant chaque élection par PricewaterhouseCooper, qui valide que tout est fonctionnel.

En jetant un coup d’oeil sur le code, on comprend très vite pourquoi l’erreur n’a pas pu être détectée : c’est le bordel complet. Fonctions mal ou pas documentées, conventions inexistantes, et surtout manque total de contrôle de la cohérence des données : avant d’enregistrer le vote sur la carte, rien ne vérifie si il y a un problème potentiel, si il n’y a bien qu’une seule liste sélectionnée, si il n’y a pas de candidats de listes différentes sélectionnés… Bref, que tout est en ordre.

Autre manquement majeur : le code tel qu’il est présenté ne permet pas de facilement créer la batterie de tests automatisés qui seule pourrait garantir qu’un changement effectué dans le code ne change rien au comportement du programme. Ce manque de rigueur peut fonctionner pour des programmes où ce n’est pas grave si une partie des utilisateurs tombent sur des bugs, corrigés au fur et à mesure qu’ils sont trouvés. Pour un système de vote, c’est tout simplement impardonnable. Et c’est ce manque de rigueur qui, visiblement, à permis au fameux bug d’apparaître.

Le bug, donc. Il se situe dans la partie du programme permettant de désélectionner un candidat. Lors des élections précédentes, cela ne pouvait se faire que en appuyant sur le bouton “Annuler”. Nouveauté de 2014 : on peut le faire en ré-appuyant sur la case à côté du nom du candidat. Le ministère de l’intérieur nous explique les circonstances dans lesquelles le problème se produit :

  • un électeur sélectionne une liste ;
  • il sélectionne un ou plusieurs candidat(s) ;
  • ensuite il désélectionne ce ou ces candidat(s) ;
  • il revient au menu des listes ;
  • il choisit une autre liste de parti;
  • il poursuit le processus de vote normal.

jites_candL’écran incriminé (image prise dans le manuel d’utilisation fourni avec les sources)

Le code gérant cet écran se trouve dans un fichier appelé mod_cand.c. On y retrouve une fonction qui, chaque fois qu’on appuie avec le stylo optique sur l’écran, va vérifier l’action à effectuer. Je mets le code ci-dessous pour ceux que ça intéresse.


static int Cand_Check_Selection(int _iX, int _iY)
{
  int i, x1, x2, y1, y2;
  

  if(_iY > 452) /* At the bottom (Validate/Cancel or
                   go back tho the lists) */
  {
    if(giNbCandidSel != 0) /* Almost one candidate selected */
    {
#ifdef EL2014
      if((_iX > 10) && (_iX < 310)) /* Cancel */ { giNbCandidSel = 0; swpas = 0; swnoir = 0; swconf = 0; Cancel_Selection(giCurrentScr,giCurrentList,1); return(0); } if((_iX > 330) && (_iX < 630)) /* Validation */ { if((gshScrutin[giCurrentScr].nom_s == '4') && (Choix_RLg == 'F')) swVLR = 0; ++giCurrentScr; ptfunct = Scrut_Loop; return(1); } #else if((_iX > 10) && (_iX < 310)) /* Validation */ { ++giCurrentScr; ptfunct = Scrut_Loop; return(1); } if((_iX > 330) && (_iX < 630)) /* Cancel */ { giNbCandidSel = 0; swpas = 0; swnoir = 0; swconf = 0; Cancel_Selection(giCurrentScr,giCurrentList,1); return(0); } #endif return(0); } else /* No candidate selected -> go back to the list selection */
    {
      if((_iX > 110) && (_iX < 530))
      {
#ifdef EL2014
        ptfunct = les_listes;
#else        
        ptfunct = List_Display;
#endif      
        return(1);
      }
      else /* Not managed */
        return(0);
    }
  }
  else /* Candidate's areas */
  {
    for(i=0;i<=giCurrentCandid;i++) /* Who has been selected ? (LightPen) */ { x1 = gaiPosc[i][0]; x2 = gaiPosc[i][1]; y1 = gaiPosc[i][2]; y2 = gaiPosc[i][3]; if(i) /* A specific candidate (not the "head of the list") */ { x1 += giXCapture; x2 -= giYCapture; y1 += giYCapture; y2 -= giYCapture; } if((_iX>=x1) && (_iX<x2)) { if((_iY>=y1) && (_iY<=y2)) /* This area */ { if(arcMemoCandid[giCurrentScr][giCurrentList][i] == 0) /* Unselected -> Selected */
          {
            ++giNbCandidSel; /* cfr iSWDeselectC */
            Cand_Select(giCurrentScr,giCurrentList,i);
            Cand_Update(i);
            Cand_Circle(i);
            Cand_Switch(i);
            return(0);
          }
#ifdef EL2014         
          else /* Selected -> Unselected */
          {
            --giNbCandidSel; /* cfr iSWDeselectC */
            if (giNbCandidSel == 0) {
                swpas = swnoir = swconf = 0;
            }
            Cand_Unselect(giCurrentScr,giCurrentList,i);
            Cand_Update(i);
            Cand_Circle(i);
            Cand_Switch(i);
            return(0);
          }
#endif        
        }
      }
    }
    return(0);
  }
}

En français, ça donne :

  • Si on appuie en bas de l’écran et que l’on a déjà sélectionné au moins un candidat : soit on est sur le bouton “Annuler” et on exécute la fonction “Cancel_Selection”, soit on est sur le bouton “Valider” et on passe au scrutin suivant.
  • Si on appuie en bas de l’écran et qu’aucun candidat n’est sélectionné, on revient à l’écran de choix de la liste pour laquelle on veut voter.
  • Si on appuie sur un des candidats et qu’il n’est pas encore sélectionné : on exécute la fonction “Cand_Select” et on ajoute “1” au compteur de nombre de candidats sélectionnés.
  • Si on appuie sur un des candidats et qu’il est déjà sélectionné : on exécute la fonction “Cand_Unselect” et on retire “1” au même compteur.

C’est donc cette fonction Cand_Unselect qui a été rajoutée pour l’élection de 2014. Ce n’est pas une fonction très compliquée, elle ne fait que quelques lignes :


void Cand_Unselect(int _x, int _y, int _z)
{
  arcMemoCandid[_x][_y][_z] = 0;
  //280613 arcMemoList[_x][_y] = 0;
  //280613 arcMemoScrutin[_x] = 0;
}

La fonction reçoit donc trois chiffres, qui correspondent au scrutin, à la liste, et au candidat à désélectionner. Dans le tableau arcMemoCandid, qui contient pour chaque candidat de chaque liste de chaque scrutin un 0 si le candidat est sélectionné, un 1 sinon, on met la case choisie à 0. C’est simple et direct. Les deux lignes suivantes sont commentées, et ne sont donc pas exécutées : elles désélectionnaient également la liste et le scrutin.

Et c’est là que se situe le problème. Si l’utilisateur désélectionne tous les candidats de la liste, le compteur sera bien mis à zéro. Lorsque l’utilisateur appuie ensuite sur le bas de l’écran pour quitter la liste des candidats, il sera ramené à l’écran des listes sans appeler la fonction Cancel_Selection, et la liste ne sera jamais marquée comme non sélectionnée. Lorsque l’utilisateur sélectionne une autre liste et valide son vote, il y a donc deux listes indiquées comme sélectionnées dans la mémoire. Le bulletin de vote est donc nul.

2. Un vote démocratique et sécurisé, c’est quoi ?

Pour qu’une élection soit réellement démocratique, il faut que chaque citoyen puisse être assuré que son vote est comptabilisé, et que son vote est secret. Pour que ces conditions soient respectées, il importe que, à chaque étape du scrutin, des observateurs puissent contrôler l’absence de fraude. Il y a différents points clés où des erreurs (ou des fraudes) peuvent mettre en doute le résultat des élections :

  • Dans l’isoloir : si le bulletin de vote n’est pas clair ou favorise un ou plusieurs candidats (c’est le cas par exemple aux USA, où les candidats des partis autre que Démocrates et Républicains n’apparaissent pas sur le bulletin de vote, dans beaucoup d’Etats : leur nom doit être rajouté à la main par l’électeur si il veut leur donner une voix).
  • Dans l’urne : si quelqu’un rajoute ou retire des bulletins de l’urne (ou si les données sont modifiées, dans le cas électronique)
  • Lors du comptage au bureau de vote : en ne comptant pas des voix valides, ou en les comptabilisant pour le mauvais partis.
  • Lors du décompte final : en additionnant mal les votes des différents bureaux, pour arriver à un mauvais résultat.

Plus les problèmes apparaissent tard dans le processus, plus il est facile d’y remédier. Si le décompte final est mauvais, on peut refaire les additions. Si le décompte du bureau de vote est mauvais, on peut recompter. Les choses deviennent plus difficiles si ce qui se trouve dans l’urne n’est pas valide. Dans le meilleur des cas, on peut alors identifier les bulletins problématiques et les annuler (c’est ce qui s’est produit avec le bug de 2014). Dans le pire des cas, il faut revoter.

3. Vote électronique, stop ou encore ?

En se basant sur les critères ainsi définis, le vote électronique tel qu’il se passe dans 17 des communes bruxelloises n’est pas démocratique. Il a en effet une lacune énorme et impardonnable : il n’y a aucun moyen pour l’électeur de vérifier que le contenu de la carte magnétique correspond bien à son vote. Il ne peut pas savoir si la machine n’a pas été trafiquée, ou si les données n’ont pas été corrompues entre le moment où il a pu voir son vote sur la machine et le moment où la carte a été éjectée. Les observateurs non plus n’ont aucun moyen de vérifier, pendant le dépouillement, que les bulletins sont correctement comptabilisés. Même si le code était bon (ce qui n’est pas le cas), même si en pratique tout se déroulait parfaitement comme prévu, ce système resterait par nature non-démocratique.

Faut-il alors jeter le vote électronique à la poubelle ? Non ! La solution est simple, et elle est déjà appliquée dans les communes qui ont choisi de mettre en place un système plus moderne. Il s’agit de ne pas stocker le vote sur une carte magnétique, mais sur un papier, sur lequel sera indiqué le vote en toutes lettres de manière lisible, accompagné d’un code barre permettant à un ordinateur de le comptabiliser automatiquement. L’électeur peut vérifier, au moment de son vote, qu’il glisse bien dans l’urne un papier portant le(s) nom(s) qu’il a choisi. Les observateurs peuvent vérifier facilement que le système qui scanne les votes donne bien la même information que celle inscrite en toutes lettres sur le papier. Et en cas de doute ou de problème, on peut toujours tout recompter à la main.

On peut ainsi combiner les avantages du vote électronique (rapidité de comptage, clarté du bulletin de vote…), et la sécurité du vote papier. Il serait dommage que, après le bug de 2014, Bruxelles décide de revenir entièrement en arrière, et retourne au vote papier. Mais si le choix est le vote papier ou le système actuel, c’est le vote papier qui doit primer : le système actuel n’est pas sécurisé, il n’est pas démocratique. Le meilleur choix serait évidemment de passer à un système de vote électronique moderne. Je ne l’ai jamais essayé, mais le système utilisé à Woluwe-Saint-Lambert et Watermael semble un bon candidat…