Transphobie par décret

Adrien Foucart | 23 Jan 2025
2xRien - un blog

Le 20 janvier 2025, fraîchement intronisé pour la seconde fois dans la présidence américaine, Donald Trump a signé le décret exécutif pour “Défendre les femmes de l’extrémisme de l’idéologie de genre et restaurer la vérité biologique dans le gouvernement fédéral” [White House]. Rien que ça.

Ce décret est une horreur. Il est une preuve de plus (et à ce stade, de combien de preuves avons-nous besoin?) que Trump 2.0 vise à transformer les États-Unis d’Amérique en un régime liberticide à l’idéologie christo-fasciste. Sous couvert de “protection des femmes”, il vise particulièrement les femmes trans et va rendre leur vie totalement intenable dans l’espace public américain. Pour beaucoup d’entre elles, ce n’est pas exagéré de dire que ce décret est une sentence potentiellement létale.

Ce décret ne va évidemment pas non plus protéger la moindre femme (cis). Au contraire: il ouvre la porte à un harcèlement constant de toute femme qui ne se conforme pas à un “type” féminin traditionnel. Une femme “un peu garçonne”, ou avec des vêtements amples et des cheveux courts, ou simplement dotée d’un physique plus “masculin” que la moyenne risque désormais de se voir obligée de “prouver” son statut de femme à chaque fois qu’elle veut utiliser des toilettes publiques, ou entrer dans tout autre espace dédié aux femmes. Et c’est là l’objectif réel: définir le sexe féminin non pas selon des critères scientifiques, mais selon une conformité à la féminité traditionnelle.

Et c’est dans cette définition de la binarité homme-femme que le décret passe de “horrible” à “horrible et absurde”. Parce qu’évidemment, dès lors qu’on sort des phrases comme “the immutable biological reality of sex”, “It is the policy of the United States to recognize two sexes, male and female” ou “These sexes are not changeable and are grounded in fundamental and incontrovertible reality”… à un moment, il faut bien fournir cette définition scientifique immuable et incontestable (un bel oxymore, déjà!).

La définition est proposée ainsi dans le décret:

  1. “Sex” shall refer to an individual’s immutable biological classification as either male or female. “Sex” is not a synonym for and does not include the concept of “gender identity.”
  2. “Women” or “woman” and “girls” or “girl” shall mean adult and juvenile human females, respectively.
  3. “Men” or “man” and “boys” or “boy” shall mean adult and juvenile human males, respectively.
  4. “Female” means a person belonging, at conception, to the sex that produces the large reproductive cell.
  5. “Male” means a person belonging, at conception, to the sex that produces the small reproductive cell.

Donc: “female” signifie une personne qui appartient à la conception au sexe qui produit les grandes cellules reproductives, et “male” au sexe qui produit à la conception les petites cellules reproductives. C’est une définition assez étrange… et circulaire. Qu’est-ce que “le sexe qui produit les grandes cellules reproductives?”: le sexe féminin. Qu’est-ce que “le sexe féminin?”: celui qui est capable de produire les grandes cellules reproductives.

J’ai vu passer des commentaires et articles disant que, parce que les foetus commencent tous par développer des organes sexuels féminins avant que, pour les porteurs du chromosome Y, les testicules ne commencent à se développer1, le décret déclare que toute personne est une femme, mais je ne suis pas trop d’accord. Le décret ne stipule pas que le foetus doit avoir des organes sexuels d’un certain phénotype, mais bien “faire partie (à la conception) du sexe qui produit” les spermatozoïdes ou les ovules – c’est-à-dire le sexe masculin ou féminin.

Le décret ne fournit donc juste pas de réelle définition binaire scientifique du sexe. L’interprétation la plus charitable du texte serait de dire que la distinction est basée sur les chromosomes, XX ou XY. Mais pourquoi alors ne pas simplement le dire comme ça? Sans doute parce que ça ne marche pas non plus: la définition n’inclurait pas toutes les personnes ayant diverses anomalies chromosomiques, peu fréquentes mais qui concernent néanmoins entre quelques dizaines de milliers et quelques millions de personnes aux USA, selon les estimations très divergentes que l’on peut trouver.

La volonté ici est sans doute de placer une petite pique anti-avortement – si on est une “personne de sexe féminin ou masculin” à la conception, on est nécessairement une “personne” à la conception – tout en donnant un air vaguement scientifique et légitime au document. Après tout, Trump et sa clique s’en foutent royalement que ce soit vraiment scientifique. L’important est de punir tous ceux et toutes celles qui ont l’outrecuidance de ne pas rentrer dans les cases que la société leur réserve.

Et surtout de rendre légal – et même encouragé – leur harcèlement. Ce n’est pas pour rien que dans les documents gouvernementaux supprimés par ce décret, on retrouve “Confronting Anti-LGBTQI+ Harassment in Schools: A Resource for Students and Families” ou “U.S. Department of Education Toolkit: Creating Inclusive and Nondiscriminatory School Environments for LGBTQI+ Students”. Le messages aux harceleurs en tous genres, dans les écoles ou ailleurs, est clair: si votre cible est LGBTQI+, ou autrement “anormale”, soyez libres de vous y attaquer, avec la bénédiction du Président des États-Unis d’Amérique.


  1. “During early development the gonads of the fetus remain undifferentiated; that is, all fetal genitalia are the same and are phenotypically female.” [https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK222286/]↩︎

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