En 1991, le “World Wide Web” était constitué d’un seul site : le CERN. Aujourd’hui, il y en a plus de 170 milliards d’actifs, et plus de 800 milliards de noms de domaines. C’est sur Internet que l’on joue, que l’on discute… et que l’on s’informe.
Mais nous ne voyons pas tous le même Internet. Avec tellement de sites disponibles, tellement de sources d’informations, chacun d’entre nous ne voit finalement jamais qu’un tout petit coin du Web, un tout petit fil de la toile. Notre vision du monde qui nous entoure va être fortement teintée par lequel de ces fils on utilise pour s’informer. Car les autoroutes de l’information peuvent vite se transformer en autoroutes de la désinformation lorsqu’on emprunte le mauvais tournant.
Il y a en particulier un coin de la toile dans lequel beaucoup de gens se retrouvent enfermés, et dont il est difficile de sortir : c’est un coin où l’on apprend à se méfier de tout ce qui vient d’ailleurs, de toutes les opinions contradictoires. Un coin où l’on apprend à se sentir persécuté, victimisé. C’est un agglomérat de sites parfois divergents, sans réelle coordination, mais qui à force de se lier les uns aux autres et d’ignorer tout ce qui vient de l’extérieur du réseau se sont créés un monde à part : le monde de la Fachosphère.
La Fachosphère n’est pas un bloc uni. Il y a de la place pour de la discorde, pour une belle pluralité d’opinions. Il y a ceux qui cherchent avant tout à taper sur les musulmans, comme “Ripose Laïque”. Il y a ceux qui jugent que le danger vient de complots juifs, comme Alain Soral (“Égalité et Réconciliation”) ou Dieudonné (“Quenel+). Il y a ceux qui se défendent contre l’homosexualité (”Manif pour Tous“), ou qui se lamentent en général des persécutions que subissent les chrétiens d’Europe (”Salon Beige"). Bref, pleins d’avis différents !
Au coeur du réseau, cependant, se trouvent les sites les plus pernicieux. Ceux qui ne se présentent pas comme des sites d’opinion politique, mais comme des sites d’information réelle. Parmi les plus importants, on retrouve Novopress, Medias-Presse ou Fdesouche. Comme ils essaient de se présenter comme “objectifs”, leur stratégie est assez différente de celle des sites ouvertement politiques. Ils essaient de toujours se protéger derrière des termes un peu vagues (“certains soupçonnent”, “d’après des témoignages”), et essaient au maximum de publier des choses “techniquement vraies”, mais prises hors contextes, et avec surtout une arme majeure : le biais de sélection.
Par exemple, si on regarde les titres sur la première page du 12 août 2015 de Fdesouche, on trouve :
- Espagne : Une ville en état de siège après la mort d’un Sénégalais
- Sangatte (62) : une femme agressée sexuellement par un migrant Erythréen
- Italie : les migrants jettent les matelas de l’hôtel pour protester contre les conditions d’accueil
- Un ado blanc abattu par un policier aux Etats-Unis et personne n’en parle ?
- Jean-Pierre Chevènement : «La menace pour l’Europe n’est pas à l’Est, mais au Sud»
- Deux cents migrants bloquent l’accès à Eurotunnel : le trafic interrompu pendant 5 heures.
- Melun (77) : une vingtaine d’enfants de 5 à 12 ans saccage une école maternelle
- Immigration : le migrant qui racontait son périple sur Instagram était un acteur
…et ainsi de suite. La plupart de ces informations viennent de sources relativement fiables. Dépêches AFP, articles de journaux traditionnels… Ce ne sont pas les pures fabrications qu’on peut retrouver sur certains sites complotistes. Le tableau qui est brossé, cependant, est celui d’un monde où les français et européens “de souche”, quoi que ça veuille dire, ne peuvent pas sortir de chez eux sans être assaillis par une horde d’immigrés clandestins juifs homosexuels affiliés au Parti Socialiste en route pour aller brûler une église.
La Fachosphère constitue ainsi un catalyseur de peur et de haine. Une fois qu’on entre dedans, on apprend à se méfier des médias traditionnels (à la solde des juifs / des musulmans / des homosexuels / de la gauche…). On apprend à balayer les réelles souffrances et discriminations subies par les minorités, par les femmes, par les LGBTQ, pour les remplacer par des persécutions imaginaires subies par les pauvres chrétiens d’Europe.
Le phénomène qui conduit à la formation de la Fachosphère n’est pas unique, et doit servir de mise en garde : ne pas diversifier ses sources d’informations, c’est prendre le risque d’être endoctrinés dans une vision du monde irréelle et dangereuse. On est prêt alors à croire que les migrants sont infiltrés par les djihadistes, sans même se poser la question de savoir si c’est plausible.
Se méfier des médias traditionnels, c’est bien : ils écrivent leur lot de conneries. Ca ne veut pas dire pour autant qu’il faut plus se fier aux médias alternatifs. Diversifier ses sources, et garder un esprit critique, ce sont les meilleures armes que l’on peut avoir pour rester informés.