Toute ressemblance avec des personnes ou des faits réels serait purement fortuite.
Il est huit heure trente du matin, le lundi 13 juillet 2015. Charles Michel fait son entrée dans la salle de réunion. Un silence tendu règne dans la pièce, et c’est sous le regard de tous les chefs d’État européens qu’il va s’asseoir sur sa chaise, la seule encore libre. Il sort de son cartable un bic à quatre couleurs et un rouleau de Tipp-Ex (on est jamais trop préparé), et les pose avec assurance sur la table. Son voisin lui glisse à l’oreille :
“Ca fait une demi-heure qu’on est là…”
Charles s’offusque : comment, cela fait une demi-heure que tout le monde est là, à se regarder sans parler ? Comment voulez-vous qu’on arrive à quelque chose dans ses conditions ? Il est temps que quelqu’un de sérieux prenne les choses en main. Il redresse la tête, croise le regard de Hollande, de Merkel. Il fixe Donald Tusk, et lève la main. Donald semble hésiter, puis lui fait un signe.
“Monsieur Michel, qu’y a-t-il ?”
Charles Michel se racle la gorge. C’est son grand moment sous les feux de la scène européenne.
“Monsieur le Président du Conseil européen, messieurs et mesdames les premiers ministres, président, chanceliers…” Il marque une pause. Tous son suspendus à ses lèvres. “Il me semble que nous sommes en train de perdre notre temps. Qui presse, d’ailleurs. Il est l’heure de sonner la fin des haricots, et de mettre les points sur les j. Ce qu’il faut maintenant, c’est poser les bonnes questions. Monsieur Tsipras !”
Alexis Tsipras a l’air épuisé. C’est un homme qui a besoin d’une bouée de sauvetage, et Charles se sent aujourd’hui l’âme d’une bouée.
“Monsieur Tsipras, voulez-vous un accord pour aider le peuple grec ?”
Tsipras échange un regard perplexe avec ses voisins de table, qui haussent les épaules d’un air impuissant. Ils comprendront bientôt ! Tsipras répond.
“Oui, évidemment.”
Charles Michel ne perd pas de temps. Il se tourne de l’autre côté.
“Madame Merkel, voulez-vous un accord pour aider le peuple grec ?”
“Ja, Charles, tout le monde ici veut un accord.”
Tout le monde ici veut un accord. Charles ne peut plus retenir son excitation. Il s’exclame :
“Voilà ! Tout le monde veut un accord ! Je suis content qu’on y soit arrivé.”
Charles sourit à tout le monde. Timidement, les gens lui rendent son sourire et échangent des regards. Ils ne semblent pas encore réaliser ce qui vient de se passer. Ils n’ont pas saisis l’importance du moment. Charles sort son téléphone (discrètement sous la table, il ne faudrait pas qu’Angela le confisque !) et se connecte sur son compte Twitter. Il écrit un mot : “Agreement”, et range son téléphone. Donald Tusk rompt le silence qui s’était installé.
“Bon, après cette interruption et maintenant que tout le monde est là… Reprenons.”
Reprenons ? Mais ils étaient d’accord ! Enfin, Charles supposait qu’il y avait encore des détails à régler, c’est vrai. Mais tout cela ne pouvait-il pas se faire juste entre Angela, François et Alexis ? Maintenant que leur différend était effacé par le talent diplomatique belge, ils arriveraient certainement tout seul à régler ça. La voix de Donald était monotone, et Charles avait du mal à rester concentrer. Il commença discrètement à dessiner sur un coin de son cahier. Il était fier de lui. Aujourd’hui, il avait fait honneur au nom de Charles Michel, et à la Belgique entière.
Le monde retiendrait que, en ce jour, c’est lui qui avait compris.