Il y a un peu plus d’un an, je m’inquiétais des “publireportages” de la plateforme d’échange en cryptomonnaies Bit4you sur le site web de La Libre. Outre le fait que ces publicités n’étaient pas clairement indiquées comme telles, La Libre couvrait régulièrement avec enthousiasme son succès, laissant libre parole à ses directeurs Marc Toledo et Sacha Van Damme. Suite à mon signalement auprès du Conseil de Déontologie Journalistique, La Libre avait rendu plus claire la nature publicitaire des “publireportages” (la confusion était selon eux due à un problème technique), et s’était sinon défendu de son indépendance journalistique pour le choix de ses interlocuteurs. J’écrivais à l’époque:
Il est difficile de ne pas voir une certaine responsabilité médiatique dans la vaste arnaque que sont les cryptomonnaies, NFTs, et autres “révolutions” de la blockchain. En traitant bien souvent les cryptomonnaies comme “un investissement” (risqué, certes, mais légitime) dont on rapporte les montées et descentes comme si c’était une action cotée en bourse, ils leur donne une aura de respectabilité qui aide à recruter les nouvelles générations d’investisseurs… qui se retrouvent bien souvent les cibles de la prochaine arnaque, ou simplement les victimes de la nature légèrement… “pyramidale” de l’investissement.
Bitcoin et médias: La Libre Belgique et bit4you [20 février 2022]
Un an plus tard…
Fin avril de cette année, Bit4you a suspendu ses activités. Depuis, le conseil d’administration a été déchargé de ses fonctions, et l’inévitable Mischaël Modrikamen est monté au créneau pour défendre les investisseurs. L’inévitable faillite a eu lieu, et elle suit le schéma de tous les “petits acteurs” du secteur: les cryptomonnaies que les investisseurs pensaient stocker chez Bit4you étaient en fait conservées dans une société estonienne, CoinLoan… qui elle-même a fait faillite, entraînant Bit4you dans sa chute.
Parce que la majorité de l’argent qui “circule” dans les plateformes de cryptomonnaie n’existe pas, et que l’ensemble du système est un château de cartes, cela ne pouvait pas se terminer autrement. Lorsque des clients de Bit4you investissaient dans la plateforme, ils commençaient par convertir leurs euros en Tether (USDT), une cryptomonnaie “stable”, c’est-à-dire qu’elle est censée rester à prix constant, la société Tether étant supposée posséder dans ses réserves un dollar pour chaque USDT en circulation. On sait – depuis longtemps – que ce n’est pas le cas. Ces USDT sont donc des jetons de casino, mais dans un casino très particulier où la maison ne garantit pas qu’ils pourront être ré-échangés contre du vrai argent à la fin !
Les fondateurs de la plateforme se posent aujourd’hui en “victimes”, comme leurs clients: ils ne pouvaient pas savoir que CoinLoan était insolvable. “Rien n’a été détourné”, explique Marc Toledo dans l’Echo. “Il ne manque rien, nous ne sommes pas partis avec la caisse.” C’est peut-être vrai. L’Echo les présente comme ayant tout misé – et perdu – dans l’affaire, ayant injectés leurs fonds propres pour combler des pertes. Si vraiment ils n’ont pas tiré de profit de toute l’histoire, s’ils croyaient vraiment que CoinLoan ne pouvait pas chuter, s’ils croyaient vraiment que la pyramide pouvait continuer à croître à l’infini… alors par pitié, médias belges, ne nous les présentez plus jamais comme “experts” en finances, crypto ou non ! On est ici clairement dans une histoire où les seules interprétations possibles de leurs actions sont de l’incompétence ou de la malhonnêteté.
Je l’ai dit à l’époque, je le redis aujourd’hui : lorsque les médias couvrent les cryptomonnaies comme un investissement légitime, ils contribuent à créer des victimes d’une gigantesque arnaque mondiale. Combien de gens ont investi dans la plateforme après avoir été convaincu de sa légitimité par la couverture médiatique positive, sur La Libre et ailleurs ? S’ils n’ont sans doute pas de responsabilité légale dans l’histoire, je pense franchement qu’ils partagent une responsabilité morale. Lorsqu’il s’agit d’une plateforme de cryptomonnaie, la question n’est pas de savoir si elle va se crasher ou pas. La question est de savoir si les fondateurs partiront avec la caisse avant la chute, ou s’ils perdront leur mise avec celle de leurs clients.